LE PILIER SOCIAL
LA MODE ET LE PROGRÈS SOCIAL :
QUELQUES TIMIDES AVANCÉES
LE PILIER SOCIAL
UNE FILIÈRE PATERNALISTE/MATERNALISTE,
À LA FOIS AUTORITAIRE ET PROTECTRICE
mais a-t-elle été exemplaire ?
LE PILIER SOCIAL
Avantages sociaux pour les travailleurs
Durant les années 20 et 30, certains grands couturiers déclarent offrir à leurs employés les meilleurs salaires et avantages sociaux. L’objectif : se démarquer de leurs concurrents pour attirer les meilleures ouvrières. Ainsi Poiret, Chanel, Vionnet et Patou se démènent pour être perçus comme plus généreux et plus avantageux. Ces mesures sont prises pour des avancées sociales importantes et novatrices, mais il est important de noter qu’elles ne sont pas nouvelles dans la mode : Jeanne Paquin propose de façon volontaire à ses employés, déjà au début du siècle, deux repas chauds par jour et leur paie des vacances à la mer une fois par an.
Mais celle qui met en place les premiers vrais avantages sociaux et fait avancer le droit des travailleurs est Madeleine Vionnet.
Madeleine Vionnet : les droits sociaux avant l’heure
Femme engagée et en avance sur son temps, Madeleine Vionnet dirige sa maison de couture comme une entreprise moderne. Soucieuse du bien-être de ses employés, elle leur offre des avantages sociaux rares à l’époque : l’accès à une cantine, clinique, crèche, infirmerie et même un cabinet dentaire.
Elle leur fait aussi profiter de congés payés et congés de maternité, de pauses régulières et même d’un soutien financier en cas de maladie. Tout est pensé pour offrir aux travailleurs de la maison Vionnet le meilleur cadre de travail, favorisant ainsi leur bien-être et augmentant l’attractivité de sa maison.
La politique sociale qu’elle met en place est absolument inédite dans la mode à cette époque et devance les lois sociales en vigueur.
Dans la même veine, c’est le grand Jean Patou qui prend position pour l’augmentation du salaire des ouvrières. Il déclare lors d’une interview de 1927 :
n’étaient pas assez payées”. Le couturier accorde déjà à ses ouvrières une rémunération supérieure au montant fixé par la Chambre syndicale de la couture.
LE PILIER SOCIAL
Le premier à créer une maison de couture en France est Charles Frederik Worth. Avant lui, le couturier répond aux demandes de clients et peut être associé à un artisan. Worth crée des vêtements féminins sur mesure, selon son inspiration, à la manière d’un artiste : c’est la naissance de la Haute Couture. En 1874, après avoir établi le nom Worth comme la référence de la Haute Couture, il intègre ses fils Jean-Philippe et Gaston-Lucien au sein de la maison et crée donc la première maison familiale dans la couture. Après sa mort en 1895, ses fils poursuivront l’activité avec Jean-Philippe à la tête du département créatif et Gaston- Lucien à l’administration. Cela permet à la maison de mode Worth de conserver sa position de leader dans le panorama de la Haute Couture parisienne au début du XXe siècle. La maison Lanvin en fait l’acquisition en 1954.
Cette dernière est justement un modèle d’entreprise familiale, toujours en activité aujourd’hui. Fondée en 1889 par Jeanne Lanvin, la couturière crée un empire dont sa fille Marie-Blanche prendra la tête en 1946, après la mort de sa mère. Marie-Blanche continue de concevoir les collections de la maison Lanvin jusqu’en 1950 avant de se retirer de la création et de la confier à des créateurs chargés de faire perdurer le savoir-faire, le style et l’excellence de la maison Lanvin à travers les époques.
Puis naissent les grands magasins, véritables modèles d’entreprises familiales, à l’image des Galeries Lafayette. Ce sont les cousins Théophile Bader et Alphonse Khan qui ouvrent en 1894 leur magasin, au 1 rue La Fayette. Après la débâcle de 1940, Théophile Bader et les administrateurs des Galeries Lafayette sont dépossédés de leurs biens et contraints de démissionner. Après la guerre et au terme d’une histoire digne d’un film hollywoodien, les Galeries Lafayette reviennent dans les mains de leurs propriétaires légitimes, qui s’étaient engagés dans la Résistance pendant la guerre. Aujourd’hui, Les Galeries Lafayette sont le dernier grand magasin français dirigé par les descendants directs de ses fondateurs. Cet esprit de famille entrepreneurial contribue au sentiment d’appartenance et d’attachement très fort à la “famille de la Mode” des personnes qui y travaillent.
Cette spécificité fait aussi de la mode un monde à part.
La mode a vu naître durant la période observée de belles avancées sociales, notamment sur les droits des travailleurs avec la création des premières entreprises familiales de l’industrie. Néanmoins, au fil du temps, ces avancées se transforment en simple application de la législation. La filière est également témoin de dérives inacceptables.
La mode commence donc le XXe siècle en avance sur son temps et le finit avec des drames sociaux en devenir, liés aux nouveaux modèles économiques alors en formation. Nous traiterons ce sujet dans notre prochain numéro.
Ces accusations n’ont pas empêché les responsables d’avoir de longues carrières, comme le souligne Thysia Huisman, qui se déclare victime de Brunel dans les années 90 : “Il est invraisemblable que Jean-Luc ait fait une si longue carrière dans la mode en dépit de tous les scandales dans lesquels il a été impliqué.”