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LE PILIER SOCIÉTAL

LA MODE JOUE SON RÔLE ENGAGÉ

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Crédits : Anna Shvetsaa Eye for Ebony

UNE REDÉFINITION DES STANDARDS DE BEAUTÉ

Après avoir beaucoup œuvré pour la place de la femme au sein de la société, au XXIe siècle la mode s’attaque aux standards de beauté.
Dans le dernier numéro, nous avons observé le rôle crucial qu’a joué la mode dans les avancées sociétales qui ont eu lieu au cours des XIXe et XXe siècles. Dans cette édition, portons notre œil sur ce début de XXIe siècle avec deux décennies hautes en couleurs qui ont également eu leur lot d’avancées sociétales. Mais peut-on dire que la mode a contribué à ces grandes avancées ?
Sur quels sujets la mode a-t-elle joué un rôle important ?
Une redéfinition des standards de beauté
Après avoir beaucoup œuvré pour la place de la femme au sein de la société, au XXIe siècle la mode s’attaque aux standards de beauté. En effet, la mode a dans un premier temps conduit à l’émergence d’un diktat de beauté : les mannequins jeunes aux silhouettes fines et longilignes ont envahi les podiums, couvertures de magazine, affiches publicitaires, et aujourd’hui les réseaux sociaux… La mode a longtemps relayé une image faussée de la femme qui n’est pas représentative de la société. En effet, aujourd’hui en France, environ 40% des femmes font une taille 44 ou plus, et moins de 5% d’entre elles taillent un 34… Une prise de conscience globale a eu lieu. Partout dans le monde des voix se font entendre et contestent l’omniprésence d’images non réalistes du corps féminin imposées par l’industrie de la mode, et la “grossophobie”
qui y règne. C’est notamment grâce à ces femmes engagées que des avancées se produisent. En 2005, Crystal Renn, une mannequin aux courbes curvy défile pour Jean-Paul Gaultier pendant la Fashion Week et devient rapidement l’un des premiers tops grande taille. Johanna Dray, top à la taille 46, devient la première mannequin ronde professionnelle à se faire connaître en France. D’autres noms comme Whitney Thompson aux États-Unis, gagnante de la fameuse émission America’s next top model 2008, ou Tara Lynn apparaissent. Cette dernière est loin de posséder des mensurations “conformes” à l’industrie avec son 1m76 et ses 85kg, et pourtant ! Vogue, Harper’s Bazaar, Elle… la choisissent pour leur couverture. Fraîches, assumées, rondes… Tara Lynn et ces autres femmes deviennent de plus en plus en vogue.
La minceur irréaliste de la taille 0 – ou taille 34 – est dénoncée, contestée, et remise en cause. On prend conscience que cette norme est néfaste à deux niveaux : d’abord pour les mannequins elles-mêmes qui se rendent malades pour conserver leur taille fine, ensuite pour les femmes et jeunes
femmes qui prennent ces corps ultra-minces comme un modèle à suivre. L’arrivée de mannequins grande taille est alors une révolution dans l’industrie de la mode, avec elles le mouvement “body positive” apparaît et prend de l’ampleur.
Ce mouvement sociétal, aussi appelé “body posi”, célèbre la diversité des corps et encourage l’estime de soi. Le beau ne réside plus dans les standards de beauté imposés par l’industrie, mais dans le fait d’être à l’aise avec son corps. Cette mouvance vise à changer notre perception du corps et surtout, à aider les femmes à s’accepter et à s’aimer telles qu’elles sont.
Certaines enseignes comprennent que cette plus grande diversité est un soulagement pour de nombreuses femmes qui voient leur corps mieux représenté. C’est également un levier très porteur économiquement et un différenciateur clé puisque jusqu’ici la plupart des marques ne proposaient pas de taille après le 42, délaissant ainsi une grande partie des femmes.
Desigual lance une campagne inédite pour la sortie d’une collection de maillots de bain avec la célèbre Charli Howard, mannequin aux formes rondes qui apparaît au naturel, sans aucune retouche. Castaluna prend très vite le pas et se lance en 2009 pour devenir l’une des premières marques à ne proposer que des tailles au-dessus du 42.
Cet essor se renforce ces dernières années avec les réseaux sociaux. Instagram devient un média phare dans ce mouvement, et beaucoup de femmes n’hésitent pas à l’utiliser pour véhiculer leur message.

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Ainsi, de nombreuses “influenceuses” revendiquent leurs différences et prônent le body positivisme, à l’instar d’Ashley Graham, figure emblématique de l’industrie de la mode et du mannequinat. Mannequin dite
“grande taille”, Ashley Graham a su casser les codes de l’industrie en arborant une silhouette voluptueuse et assurée. Son compte Instagram devient rapidement un porte-parole du mouvement body positive, et est aujourd’hui suivi par près de 12 millions d’internautes.
Si l’industrie de la mode a tendance à véhiculer une image artificielle et irréaliste du corps féminin, elle permet aussi l’émergence de nouvelles tendances correctives. En effet, notre industrie se
met à médiatiser une beauté plurielle, affranchie des diktats de beauté pour célébrer la différence et la singularité. Preuve que la mode se remet en question et se réinvente de manière permanente.
Mais la mode n’agit pas seulement sur notre perception des standards de beauté, elle influence également notre regard sur d’autres questions sociétales, comme notre rapport aux signes religieux ou la diversité sociale et ethnique.
Interview de Nica Stapel

En 2009, Nica Stapel et Giorgia Tedeschi lancent Castaluna.com. Le site propose plus de 40 marques en prêt-à-porter, lingerie, accessoires et chaussures dans un esprit glamour et tendance pour les grandes tailles. Au- jourd’hui Castaluna est devenue une marque à part entière, intégrée dans l’offre La Redoute. Nous avons eu le plaisir d’échanger avec Nica Stapel sur le début de cette aventure.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
J’ai commencé dans le conseil puis ai enchaîné dans la grande distribution chez Monoprix, Casino et le groupe Eram jusqu’à occuper des postes de direction avant de lancer Castaluna.

En 2009, pourquoi lancer une enseigne digitale pour femmes rondes ?
Cela faisait longtemps que j’avais envie de créer ma société et je cherchais une idée. Or j’avais un problème pour m’habiller. A l’époque le leader était La Redoute avec “Ma grande taille”, positionnée sur de l’entrée de gamme et pas très moderne. J’ai cherché des données de marché et j’ai trouvé des chiffres stupéfiants : quasiment la moitié des femmes faisaient du 42 – 44 et plus. L’offre étant ridicule, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire. Le digital est venu comme une évidence pour des questions de coûts.

Comment avez-vous rendu ce projet réel ?
On a fait appel à plusieurs sources de financement : de la levée de fond en “Love money ”, et un emprunt bancaire garanti par la BPI.

Avez-vous rencontré des freins ?
Le plus difficile est de convaincre des investisseurs. La deuxième difficulté est le délai de développement du site internet. J’avais fixé des délais complètement délirants : j’ai eu l’idée fin février et le site est sorti en octobre. Résultat : il y avait quelques trous dans la raquette sur le site.

Quel a été l’accueil du marché ?

Discret. On s’est lancé fin octobre avec une collection automne/ hiver, on avait 4 mois de retard par rapport au marché ! Après c’est allé assez vite heureusement.

Pensiez-vous devenir une référence sur ce marché ?

Dans le monde de la mode grande taille, oui on l’espérait. Nous n’étions pas très nombreux sur le marché. On voulait être parmi les premiers réflexes d’une nana qui a envie de bien s’habiller même si elle fait plus que du 42. Nous y sommes parvenus en partie avec notre site et aussi grâce à des partenaires influenceuses dans le milieu de la grande taille, comme Stéphanie Swicky et son blog “Big Beauty” sur lequel on avait une bannière et des articles.
Et puis on a fait le buzz involontairement. À la suite d’une publicité pour Castaluna, une nana a posté un truc sur le Nouvel Obs où elle traitait la mannequin de “grosse qui la dégoûte”. On a écrit un droit de réponse avec lequel on a été le premier hashtag sur Twitter pendant deux heures !

Aujourd’hui, pensez-vous que les marques considèrent cette cible de la taille 42 et au-dessus ?
Peut-être qu’on propose une taille supplémentaire mais je ne suis pas convaincue que les lignes aient vraiment bougé. En tant que consommatrice, je ne vois pas de changement monstrueux.

Connaissez-vous la “Loi mannequin” ? Votée en 2017, cette loi vise à lutter contre l’anorexie et à réglementer la maigreur dans le monde de la mode. Pour cesser de faire de la maigreur une référence esthétique, les mannequins doivent depuis 2017 présenter un certificat médical pour pouvoir exercer leur métier. De plus sur chaque photo retouchée, la mention “Photographie retouchée” doit apparaître. Si les magazines et agences de mannequins risquent jusqu’à six mois de prison et 75 000 euros d’amende en cas d’infraction à la règle, certains trouvent que le contrôle médical n’est pas assez strict. En effet, celui-ci n’est obligatoire que tous les deux ans pour les mannequins, lesquelles peuvent facilement contourner la règle une fois le contrôle passé.
Même si en pratique ces mesures apparaissent un peu laxistes, la législation française a souhaité par cette loi “agir sur l’image du corps dans la société afin d’éviter la promotion d’idéaux de

beauté inaccessibles et prévenir l’anorexie chez les jeunes” et reconnaît ainsi le poids et l’influence qu’exerce la mode sur nos modes de pensées. Il était temps !

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Crédits : Deden Dicky Ramdhani

LA MODE S’EMPARE DES SIGNES
RELIGIEUX OSTENTATOIRES

Dans un monde où les signes religieux, et notamment le voile, deviennent sources de polémiques et de débats sans fin, la mode s’engage sur le sujet.

La mode prend part aux questions de laïcité et fait rayonner un point de vue plus tolérant sur le sujet. Depuis des années, plusieurs pays occidentaux tendent à débattre sur un même point : la question du voile ! La presse a fait couler beaucoup d’encre à son propos. Symbolique, controversé, instrumentalisé… Le voile n’a cessé de faire polémique, et puis, la mode s’est emparée de la question en intégrant l’objet dans son vestiaire, le présentant alors aux yeux de la société comme un accessoire de mode commun.
En se positionnant sur ce sujet sociétal pourtant très sensible, la mode apporte un regard ouvert et tolérant. C’est en 2017 que deux avancées notables se produisent. D’abord, le magazine américain Allure choisit Halima Aden, mannequin américano-somalienne pour sa couverture et celle-ci apparaît … voilée ! Une première pour un mensuel américain.
Ensuite, Nike commercialise pour la première fois un hijab de sport. La marque intègre un peu plus cette diversité en février 2020
en lançant un maillot de bain doté d’un hijab intégré. Nike intègre alors le hijab dans la collection d’une marque internationalement reconnue et lui confère de facto un rôle d’accessoire de sport, voire de mode. Alors, le voile devient peu à peu un accessoire intégré et visible par le grand public occidental. Par ces gestes, qui paraissent anodins mais qui sont très symboliques, la mode démontre encore une fois l’impact qu’elle peut avoir sur des questions de société.

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Mode engagée :
retour sur les
campagnes chocs
de Benetton

Au début des années 2000, Benetton continue de surfer sur sa ligne de communication pour le moins provocatrice. Toujours en collaboration avec le photographe Oliviero Toscani, Benetton lance une campagne choc. Le photographe part arpenter les prisons américaines pour photographier des portraits de condamnés à mort.

La marque continue de bousculer les codes de l’esthétisme dans le marketing l’année d’après, en 2001, lors de sa campagne “Volunteers in Color” réalisée en coopération avec les Nations Unies. Benetton célèbre l’Année Internationale des Volontaires à travers des clichés bruts où la réalité du terrain est saisissante : souffrance, maladie, et pauvreté sont photographiées. Le quotidien des volontaires est loin d’être embelli par les strass du monde de la mode, et la campagne fait scandale. Dix ans plus tard, en 2011, la marque lance sa fameuse campagne “Unhate” et met à l’affiche des couples insolites comme Angela Merkel et Nicolas Sarkozy s’embrassant ou encore le pape Benoît XVI et un imam… le tout avec une pointe d’ironie.

Les campagnes de Benetton deviennent vite très attendues car elles proposent toujours un regard sur les questions sociétales de l’année. En 2013, la marque continue de surprendre avec des égéries à contre-courant : Lea T, une mannequin brésilienne et transsexuelle récemment opérée ou encore Alek We, l’une des premières mannequins à la beauté africaine à s’imposer dans l’industrie de la mode. En 2014, Benetton s’engage dans la lutte pour les droits de la femme dans le monde avec une autre campagne choc, en partenariat avec la Fondation UN Women.

Si la marque propose des vêtements au style plutôt sobre et épuré, sa stratégie de communication est toute autre. Provocantes, les campagnes de Benetton ont toutes réussi leur pari : déranger et susciter une réaction, que ça plaise ou non.

Le pouvoir de la mode
dans la lutte contre
les discriminations ethniques
En intégrant davantage de mannequins d’origine asiatique, africaine, hispanique, la mode a permis de faire évoluer les mentalités, à un moment où le monde entier en avait besoin. Même si la route est encore longue dans la lutte contre les discriminations liées à la couleur de peau, la mode a montré le chemin !
Si dans les années 1990, les mannequins de couleur étaient essentiellement sollicitées lors des défilés, les marques les représentent désormais dans l’ensemble de leur campagne. Deux maisons se distinguent en intégrant très vite cette diversité dans leur communication : Balmain et Paul & Joe.
Le racisme systémique n’a plus lieu d’être : de nouveaux marchés apparaissent comme celui de l’Asie ou de l’Afrique, et avec eux, de potentiels nouveaux consommateurs. La diversité ethnique devient alors aussi un enjeu financier.
En 2017 et pour la première fois dans l’histoire de la mode, un mannequin de couleur est présent dans chacun des défilés new yorkais. Aujourd’hui, cette diversité ne s’est jamais autant faite ressentir sur les podiums : lors de la saison printemps- été 2020, 41,5% des tops arborent des traits asiatiques, africains, indiens… en bref, non caucasiens. Winnie Harlow est une parfaite ambassadrice de cette évolution : atteinte de vitiligo, la mannequin de 24 ans enchaîne les contrats et monte en puissance. L’époque où des mannequins noires se voyaient refuser un casting sous prétexte que l’agence avait déjà “leur quota d’Africains” (comme en témoigne la mannequin Nala en 2006) paraît désormais bien loin, et on l’espère, révolue.
Nous avons parlé des mannequins, c’est important, mais on ne peut aborder ce sujet de diversité des origines sans mentionner celle des grands créateurs : visionnaires
et précurseurs, ils composent aussi les nouvelles tendances lors de leurs défilés et incarnent cette diversité. Olivier Rousteing est un formidable exemple de diversité dans la mode. Car ce qu’il représente, sur de nombreux points, est loin d’être conventionnel.

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Nommé directeur artistique en 2011 à tout juste 25 ans, le jeune créateur a relevé avec brio le défi de créer un style propre à la maison Balmain, immédiatement identifiable. Anticonformiste, il impose rapidement un style très contemporain et international à ses collections. Exit l’esprit parisien et classique, les collections de la Maison française mêlent différents styles pour célébrer les cultures du XXIe siècle. Ses robes aux décolletés plongeants imprégnées de strass et ses chaussures couleur or massif sont devenues les symboles de sa griffe.
Virgil Abloh est également un formidable symbole de réussite dans le monde de la mode. D’origine guyanaise et né dans l’Illinois, le créateur poursuit un parcours brillant : d’abord bras droit de Kanye West pendant un temps, puis fondateur de la célèbre marque Off White en 2013, il est aujourd’hui et depuis 2018 directeur artistique de la prestigieuse Maison de luxe Louis Vuitton pour les hommes. Architecte, influenceur, DJ, homme d’affaires, artiste… Virgil Abloh enchaîne les projets et collaborations à succès, apportant un souffle frais au cercle très fermé des grands couturiers de la mode. Inspiré par la culture des années 1990, Virgil Abloh propose un style inédit et bien à lui, alliant luxe et streetstyle.
Crédits : Gemma-Chua-Tran
La mode se déploie sur le continent africain

Depuis une dizaine d’années, les Fashions Weeks apparaissent sur le continent africain et deviennent de plus en plus attractives à l’échelle internationale. L’Afrique du Sud et le Nigeria sont les deux pays qui profitent le plus de l’essor de l’industrie de la mode sur le continent. L’industrie de l’habillement y est structurée, grâce à ses grands magasins, à ses écoles de mode et du design, et surtout grâce à son outil industriel, dont le rayonnement est à la fois interne et externe au continent.

Plusieurs Fashion Weeks africaines deviennent extrêmement populaires. L’une des plus connues est sans aucun doute la Lagos Fashion & Design Week. Fondé en 2011 au Nigéria par Omeymi Akerele, l’événement met en lumière différents sujets comme la créativité, le business, l’exportation, l’industrie locale. En 2016, plus de 3000 personnes assistaient à cette Fashion Week. La South Africa Fashion Week est également très prisée. Créé à la fin des années 1990, l’événement devient un véritable phénomène de mode avec ses 289 stylistes en 2018. Les entreprises du monde entier sponsorisent vite les défilés : la magazine GQ, le constructeur automobile anglais Mini, la marque japonaise d’équipement photo Canon ou encore la chaîne américaine de divertissement E! Entertainment. 

La reconnaissance et l’intérêt sont bien internationaux ! Les Fashion Weeks africaines attirent de plus en plus d’acheteurs et d’entreprises, mais également des célébrités du monde entier. Le top-modèle anglais Naomi Campbell, ou encore le rédacteur en chef de Vogue UK, Edward Enninful : tous sont les invités de l’Arise Fashion Week de Lagos au Nigéria, qui est un véritable show de la mode africaine. La mode se propage fortement en Afrique et connaît un réel succès, et tous les signes montrent que c’est parti pour durer.

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L’ÉVOLUTION DU MÉTIER DE MANNEQUIN : DEUX DÉCENNIES DE CHANGEMENTS

Si les marques tendent de plus en plus à assumer leurs engagements et à prendre part aux questions sociétales, les mannequins deviennent de véritables représentantes des causes du XXIe siècle.
Tout d’abord, il faut parler du phénomène #MeToo qui a permis à des milliers de jeunes femmes d’élever leur voix et de lever le voile sur le harcèlement et les agressions sexuelles, trop souvent subis et beaucoup trop banalisés.
Et le milieu du mannequinat est loin d’avoir été préservé de ce tsunami. De nombreux mannequins ont courageusement dénoncé les abus sexuels dont ils ont été victimes dans leur métier. Le scandale Weinstein a permis de libérer leur parole et de nombreux cas d’agressions sexuelles ont été révélés. La Brigade de Protection des Mineurs (BPM) a ainsi reçu les témoignages de plus d’une centaine de mannequins, et les photographes sont malheureusement très souvent pointés du doigt. Mario Testino, référence du monde de la mode a ainsi été accusé de harcèlement sexuel par treize mannequins. L’affaire, révélée par le New York Times dans un article publié en janvier 2020, a fait grand bruit.
Aussi, certains mannequins comme Cameron Russel, n’hésitent pas à s’engager activement pour dénoncer et nommer
les coupables, pour lutter contre la normalisation des abus sexuels dans le monde de la mode. Car malheureusement pour beaucoup, ces agressions “font partie du métier”.
Derrière les strass et les paillettes du monde de la mode, une réalité bien triste apparaît. Dès 2018, les révélations tombent, et les travailleurs de l’industrie de la mode n’hésitent pas à se mobiliser en nombre pour s’engager dans le mouvement #MeToo. Par ailleurs, il est important de noter que les femmes ne sont pas les seules victimes de ce fléau : les mannequins masculins se sont également manifestés pour dénoncer le harcèlement qui règne dans le milieu, à l’image des accusations portées envers Alexander Wang fin 2020. À New York, cette même année, un défilé très particulier a ainsi été organisé pendant la Fashion Week avec des mannequins victimes d’agressions sexuelles.
Au début de ce troisième millénaire, les travailleurs et mannequins de notre filière osent enfin affirmer leur voix et dénoncer les dérives du monde de la mode.
Interview de Philippe Cometti

Philippe Cometti est photographe de mode depuis 1996 pour les plus grandes marques et grands magazines de notre filière. Il nous livre dans cet interview son regard sur l’évolution de son métier.

Quels sont les grands changements concernant le métier de photographe de mode ces 20 dernières années ?
Avec l’explosion des supports digitaux, il peut paraître moins opportun pour certaines marques d’annoncer dans un magazine. Toutes les marques ont maintenant des comptes Instagram sur lesquels elles publient de manière massive et quotidienne. Cette difficulté s’ajoute à la baisse de lectorat pour les magazines de mode. Pour les photographes de mode c’est une évolution relativement importante, un nombre réduit de campagnes “print”. Ce sont aussi des conditions de travail différentes : par exemple un temps de travail divisé par deux et donc un temps moindre consacré à l’exploration, à la créativité et à une relation avec le mannequin à portraiturer où l’urgence met à mal une confiance qui s’inscrit dans la durée.

Les modèles de beauté ont-ils évolué ?
Il y a quelques phénomènes remarquables mais pas de réel changement selon moi . Il y a tout d’abord une longévité nouvelle des mannequins, je pense ici à Kate Moss, la retouche la rend possible.

Nous avons ensuite une utilisation surexploitée des célébrités qui remplacent les mannequins. Enfin nous avons les mannequins correspondant à un discours sociétal comme la beauté de la diversité, les mannequins plus en chair, la présence plus importante de mannequins de couleur et de mannequins transgenres, etc. C’est flagrant sur les magazines américains et bien évidemment l’iconique Vogue. Épiphénomène ou opportunisme, c’est à voir.

Quel regard portes-tu sur les polémiques autour du harcèlement et abus des mannequins dans la mode ?
J’ai davantage une opinion de citoyen sur le sujet.
C’est un métier où il y a définitivement un manque de générosité et d’échanges. Les mannequins peuvent être très jeunes et des comportements sur ces jeunes personnes sont inexcusables.
Il y a des prédateurs c’est évident, une spirale de comportements avec un pouvoir exercé sur les personnes inacceptable. La mode est une fabrique à stars : les mannequins, les photographes, les rédacteurs, les stylistes, les Directeurs Artistiques, un microcosme de pouvoir, comme dans le cinéma. Bien évidemment cela entraine des abus.

Nous sommes sur des sujets très compliqués et la psychologie de chaque acteur peut être difficile à comprendre.
La justice est seule apte à juger.

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Les réseaux sociaux, accélérateurs du changement dans la mode
Si au début du millénaire, le profil du mannequin se limitait souvent à une silhouette longiligne et une muse silencieuse, il est aujourd’hui beaucoup plus riche. Entre mannequins, activistes, influenceuses… les limites du métier deviennent floues, et la frontière entre professionnel et lifestyle de plus en plus fine. À l’ère de l’activisme social, les réseaux sociaux ont donné aux mannequins, une voix, une personnalité, un engagement. La voie à suivre pour devenir top devient multiple, et les réseaux sociaux représentent rapidement un tremplin pour beaucoup de jeunes femmes et hommes. Les réseaux sociaux ont bouleversé non seulement le métier de mannequin, mais également les codes de la célébrité. Avec près de 4 milliards d’utilisateurs soit la moitié de la population mondiale en 2020, les réseaux sociaux transforment aujourd’hui les mannequins en véritables stars aux millions d’abonnés. Et pas seulement elles…

En effet, le phénomène Instagram permet à Monsieur ou Madame “tout le monde” de devenir célèbre. Le profil de chacun devient une vitrine de casting à travers laquelle on peut s’exprimer librement, se mettre en valeur et même être repéré.

Crédits : Cottonbro
La puissance du réseau social est exponentielle, et peut transformer une inconnue en véritable icône de mode en un clin d’œil. C’est le cas d’Anok Yai : en octobre 2017, la jeune Sud-Soudanaise est une étudiante de 19 ans comme les autres. Elle se fait repérer par un photographe alors qu’elle se balade sur son campus universitaire. Anok accepte de se faire photographier et les photos sontrapidementpartagéessurInstagram. La photo provoque un emballement hors norme et atteint en quelques jours les 10 000 likes.
La bombe est lancée : Anok est très vite contactée par l’agence de mannequinat NEXT et devient un véritable top en vogue. Le 22 février 2018, elle est la seconde mannequin noire de l’histoire à ouvrir le défilé Prada, depuis … Naomie Campbell 20 ans auparavant.
ÉVOLUTION
DES ATTENTES
PHYSIQUES DES
MANNEQUINS
Le monde de la mode a profondément évolué depuis les années 1990, et avec lui, ses attentes. De plus en plus de maisons et de marques sont aujourd’hui à la recherche de “gueules”. Les modèles à la beauté parfaite sont délaissés : on cherche de l’originalité, et de l’authenticité pour provoquer de l’émotion. La beauté conventionnelle devient trop lisse et de plus en plus de mannequins à la beauté atypique défilent sur les podiums. Devon Aoki par exemple, jeune remplaçante de Naomi Campbell en tant qu’égérie Versace clôt un des défilés Chanel Haute Couture à seulement 16 ans et surtout, du haut de ses 1m65 seulement ! D’autres noms apparaissent comme Molly Blair ou encore Madelin Stuart. La première est souvent comparée à “une sorte d’E.T de la beauté” et défile pour Karl Lagerfeld en 2015 dans la fameuse robe de mariée. La seconde est atteinte de trisomie 21 et a réalisé son rêve :
celui de devenir mannequin et de défiler pendant la Fashion Week de New York.

Les créateurs s’ouvrent à davantage de singularité pour représenter leurs créations. Alors argument marketing ou simple ouverture d’esprit ? En tout cas, la beauté atypique et les mannequins aux gueules fortes, ça marche !
The Kooples est un bel exemple de cet élan. La marque surfe justement sur l’originalité pour représenter ses campagnes. Lancée en 2008, elle se fait rapidement connaître en mettant en scène des couples portant leurscollections:desgueules,desbeaux, des jeunes, des séniors, et toujours, des couples hyper branchés au style chic et urbain.

Le monde de la mode a de nouveau su prouver sa capacité d’évolution et d’adaptation durant ces deux décennies. Si la mode n’impulse pas une avancée sur un sujet sociétal, elle sait se l’approprier pour le diffuser encore plus largement.

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