LE PILIER SOCIAL
SUR LE PLAN SOCIAL :
UN CONTRE-PIED INDÉNIABLE
LE PILIER SOCIAL
L’AVÈNEMENT DE MARQUES
TOUTES PUISSANTES ET DE LEUR LIFESTYLE
Comme si le passage au troisième millénaire devait marquer un retour en arrière, la période de 2000 à 2020 signe la fin d’un engagement social fort de la mode, en particulier dans les pays en voie de développement. La question sociale étant pourtant au centre des préoccupations des institutions internationales et de l’opinion publique, comment en est-on arrivé là en à peine 20 ans ? Au début des années 2000, on voit se produire un phénomène unique, sur le plan social comme culturel : certaines enseignes vont réussir à développer une image de marque et un lifestyle si forts, que celui-ci s’intègre à la culture jusqu’à l’imposer comme une norme. Et ce phénomène a un impact social important. Ce sont les marques de luxe qui furent les premières à promouvoir un art de vivre selon les valeurs de leur maison :
Ralph Lauren avec son élégance d’aristocrate british mêlée à l’esprit du Nouveau Monde, Gucci et la subtilité à l’italienne ou Louis Vuitton avec toute la “hype” que génèrent ses égéries glamours.
L’objectif : créer auprès de son public un sentiment d’appartenance tel que s’habiller devient un signe de revendication à un art de vivre. Mais cet avènement du “lifestyle” va donner lieu à des excès de la part de certaines maisons, qui ont été l’objet de nombreuses polémiques en affichant ouvertement un positionnement de marque contraire aux principes de diversité. En effet, des marques comme Abercrombie & Fitch et Victoria’s Secret, au succès indéniable, ont développé une culture et une image non-inclusives, favorisant les gens “beaux”, à l’image de la marque, et excluant tous les autres. Abercrombie & Fitch fait scandale en 2014 lorsque son patron Michael Jeffries assume sans complexe que sa marque s’adresse à des personnes aux standards de beauté bien précis, minces et athlétiques : “Dans chaque école, il y a les enfants cool et populaires, et puis il y a les enfants pas si cool. Il est évident que nous nous attaquons aux enfants cool, à l’enfant américain séduisant, qui a une bonne attitude et beaucoup d’amis. Beaucoup de gens n’ont pas leur place [dans nos vêtements] (…)” Connu pour ses stratégies et son marketing excluants, Abercrombie & Fitch n’a pas fait que limiter l’offre de ses vêtements à la taille 40, non, la marque a aussi imposé à ses
employé.e.s d’afficher leur corps à moitié nu afin d’attirer les clients. De plus avant 2015 les employé(e)s devaient suivre des règles très strictes concernant leur look, c’est la fameuse “Look Policy” : interdiction d’avoir des cheveux trop “flashy”, interdiction de porter une prothèse ou le hijab, obligation de travailler “dénudé” et d’accepter de montrer “beaucoup de peau”… Sans oublier la procédure judiciaire engagée par les employé(e)s asiatiques, afro-américains et latino-américains relégués dans les entrepôts. Bref, le cas Abercrombie & Fitch est un scandale sur le plan du respect de la dignité des employé(e)s et de leurs droits sociaux. Sous le feu des critiques, la marque finit par changer de stratégie en 2015, mais peine encore aujourd’hui à remonter la pente. Quant à Victoria’s Secret et son fameux “n’est pas ange qui veut”, la marque qui faisait rêver avec ses défilés “ultra-bling” depuis près de 20 ans a annulé celui clôturant 2019. En effet, critiquée pour son manque d’inclusivité, sa “grossophobie” et sa vision ultrasexualisée, la marque voit son succès s’effriter fortement à partir de fin 2017. Le coup de grâce arrive lorsque Jeffrey Epstein, conseiller financier et ami de Leslie Wexner, patron de Victoria’s Secret, est arrêté en 2019 pour trafic sexuel de mineurs. Suite au verdict, le New York Times annonce que durant ses 15 années de consulting, Epstein se faisait passer pour un recruteur de mannequins de Victoria’s Secret afin d’abuser de certaines jeunes femmes.
Voilà des marques qui ont marqué ce début de siècle par leur succès fort, rapide et séduisant, mais surtout par leur brièveté. Ces modèles non-inclusifs, imposant des standards de beauté étriqués et irrespectueux de la dignité des hommes et des femmes travaillant pour eux ne sont tout simplement pas durables.
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LES CONDITIONS DE TRAVAIL IMPOSSIBLES
DES NOUVEAUX PAYS PRODUCTEURS
Avec 1,9 milliard de travailleurs – 1,2 milliard d’hommes et 700 millions de femmes – la région Asie-Pacifique représentait 60% de la main-d’œuvre mondiale en 2017. Dans cette région du monde, un grand nombre d’ouvriers (et particulièrement ceux travaillant dans les usines de production textile) travaillent plus de 48h par semaine. L’Asie du Sud-Est a le triste record de la moyenne la plus élevée au monde… Le moins que l’on puisse dire, c’est que
le temps de travail dans ces nouveaux pays producteurs est intenable.
Cependant, des évolutions positives ont eu lieu dans ces pays : en Chine par exemple, le salaire minimum augmente en moyenne de 13% chaque année depuis 10 ans. Sous la pression de certaines entreprises occidentales et des mouvements internationaux tels qu’“Anti-Sweatshop”, de nouvelles normes de conditions de travail sont progressivement mises en place.
De plus, l’accès à la formation est plus facile
que par le passé et permet aux jeunes de prétendre à des postes plus attractifs que ceux proposés dans les usines.
Dans ces pays, où faibles salaires et temps
enfants
Le récent rapport global de l’Organisation Mondiale du Travail a indiqué que le nombre d’enfants de moins de 15 ans qui travaillent en Asie et dans le Pacifique a diminué de 5 millions entre 2000 et 2004 pour passer à 122,3 millions. Malgré ce progrès, le nombre d’enfants travaillant dans ces pays est de loin le plus élevé du monde et représente 18,8% des 650 millions d’enfants entre 5 et 14 ans de la région. Selon l’OIT, une part importante du travail des enfants s’effectue le plus en amont des chaînes d’approvisionnements mondiales, dans des activités comme l’agriculture et l’extraction de matières premières. L’industrie textile faisant partie de ces chaînes qui s’approvisionnent massivement en Asie, elle a une responsabilité envers ce problème social du travail des enfants. L’Inde par exemple, le premier producteur mondial de coton et le deuxième producteur de soie, est considérée comme à risque extrême pour le travail des enfants dans
la production des deux produits.
Face à ces constatations, on ne peut nier que l’industrie de la mode est liée au travail des enfants, notamment en Asie-Pacifique qui se trouve être la région comptant le plus grand nombre d’enfants qui travaillent, avec un chiffre record de 78 millions en 2013. Bien que ce chiffre n’ait fait que diminuer depuis la fin des années 90, c’est un problème social que nous ne pouvons pas occulter.
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Le 24 avril 2013 se produit une catastrophe qui marque au fer rouge l’univers de la mode : l’effondrement du Rana Plaza. Ce jour-là, un immeuble situé en périphérie de Dacca, la capitale du Bangladesh, s’effondre et provoque la mort de plus de 1 100 personnes et fait plus de 2 000 blessés. Cet immeuble abritait des ateliers textiles et de confection qui étaient destinés à fournir les multinationales de l’habillement. En effet, dans les décombres ont été trouvées des étiquettes de grandes marques occidentales telles que Auchan, Benetton, H&M, Mango, Camaïeu ou encore Primark. Des consignes d’évacuation avaient été données la veille après l’apparition de fissures mais avaient été ignorées par les responsables des ateliers. L’immeuble de huit étages abritait un total d’environ 5 000 salariés, qui travaillaient dans des ateliers ne respectant pas les normes de sécurité : les quatre étages supérieurs de l’immeuble avaient été construits sans permis et des générateurs d’électricité ne respectant pas les normes avaient été installés en haut du toit. Ce sont ces derniers qui auraient été la cause du drame. Parmi les victimes figuraient une majorité de femmes ainsi que de nombreux enfants placés en crèche dans l’immeuble.
contraire. En changeant le comportement des acheteurs, le mouvement entend changer celui des fabricants. C’est long, mais ça marche : l’organisation rapporte en effet que depuis le début de la campagne, environ 30% des grandes marques de vêtements ont accepté de rendre publique la liste de leurs fournisseurs.
Toutefois, 1 an après le drame, en face des ruines du Rana Plaza, un immeuble, presque semblable continue à produire des vêtements dans une chaleur étouffante, dans les mêmes conditions qui précédaient la catastrophe. Cela montre bien que l’effort qui est fait, notamment par les populations mais aussi les ONG, pour améliorer les conditions de travail au Bangladesh doit continuer. Il est primordial que la pression effectuée par ces différents acteurs engagés soit maintenue afin que les conditions de travail dans ces pays s’améliorent.
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DIFFÉRENCES SOCIALES : PEUT-ON RÊVER
D’UNE ENTRAIDE ENTRE PAYS ?
Il est vital que les grandes marques et autres entreprises d’habillement qui font fabriquer dans ces pays changent leurs pratiques commerciales, car elles jouent clairement un rôle dans ce désastre en matière de droits humains. Il est primordial que leurs décisions en matière de commande et de production soient guidées par plus d’éthique et non par une réduction des coûts toujours plus importante. Nous tâchons d’être optimistes, mais le constat est sombre : à ce rythme nous allons droit dans le mur. Il faudrait tout repenser. Mais quand on y regarde de plus près, les efforts faits par les grandes marques – incitées par des mouvements comme Fashion Revolution – pour superviser les conditions de travail dans ces ateliers son
intrinsèquement compliqués.
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Le Code Éthique de 2005, donne des repères sur les comportements éthiques attendus de tous les collaborateurs vis-à-vis de l’ensemble des parties prenantes. En 2010, Kering a été l’un des premiers signataires de la charte Women’s Empowerment Principles, qui favorise la progression des femmes dans l’entreprise et la société.
De son côté LVMH, depuis 2007 avec son programme “EllesVMH”, favorise le développement professionnel des femmes du Groupe, à tous les postes, à travers des
En 2017, à la surprise générale, les deux groupes concurrents du luxe s’associent et lancent une charte commune sur les relations de travail et le bien-être des mannequins. Celle-ci sera appliquée à l’ensemble de leurs marques. Cette charte promeut des standards élevés d’intégrité, de responsabilité et de respect des personnes concernées et pose des engagements forts de la part des deux marques :
supprimer de leurs demandes de casting la taille 32 chez les femmes et 42 chez les hommes, ne travailler qu’avec des mannequins en possession d’un certificat médical attestant de leur bonne santé et de leur capacité à travailler, ne pas recruter de mannequins de moins de 16 ans et donner la possibilité aux mannequins de formuler une réclamation en cas de litige avec une agence, un directeur ou une marque. Concurrents et grands rivaux depuis de nombreuses années, voir les groupes Kering et LVMH hisser le drapeau blanc et s’associer pour une cause commune qui répond à un problème social fort en a marqué plus d’un.