LE PILIER SOCIÉTAL
LA MODE JOUE SON RÔLE ENGAGÉ
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UNE REDÉFINITION DES STANDARDS DE BEAUTÉ
Sur quels sujets la mode a-t-elle joué un rôle important ?
La minceur irréaliste de la taille 0 – ou taille 34 – est dénoncée, contestée, et remise en cause. On prend conscience que cette norme est néfaste à deux niveaux : d’abord pour les mannequins elles-mêmes qui se rendent malades pour conserver leur taille fine, ensuite pour les femmes et jeunes
femmes qui prennent ces corps ultra-minces comme un modèle à suivre. L’arrivée de mannequins grande taille est alors une révolution dans l’industrie de la mode, avec elles le mouvement “body positive” apparaît et prend de l’ampleur.
Certaines enseignes comprennent que cette plus grande diversité est un soulagement pour de nombreuses femmes qui voient leur corps mieux représenté. C’est également un levier très porteur économiquement et un différenciateur clé puisque jusqu’ici la plupart des marques ne proposaient pas de taille après le 42, délaissant ainsi une grande partie des femmes.
Desigual lance une campagne inédite pour la sortie d’une collection de maillots de bain avec la célèbre Charli Howard, mannequin aux formes rondes qui apparaît au naturel, sans aucune retouche. Castaluna prend très vite le pas et se lance en 2009 pour devenir l’une des premières marques à ne proposer que des tailles au-dessus du 42.
Cet essor se renforce ces dernières années avec les réseaux sociaux. Instagram devient un média phare dans ce mouvement, et beaucoup de femmes n’hésitent pas à l’utiliser pour véhiculer leur message.
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“grande taille”, Ashley Graham a su casser les codes de l’industrie en arborant une silhouette voluptueuse et assurée. Son compte Instagram devient rapidement un porte-parole du mouvement body positive, et est aujourd’hui suivi par près de 12 millions d’internautes.
met à médiatiser une beauté plurielle, affranchie des diktats de beauté pour célébrer la différence et la singularité. Preuve que la mode se remet en question et se réinvente de manière permanente.
En 2009, Nica Stapel et Giorgia Tedeschi lancent Castaluna.com. Le site propose plus de 40 marques en prêt-à-porter, lingerie, accessoires et chaussures dans un esprit glamour et tendance pour les grandes tailles. Au- jourd’hui Castaluna est devenue une marque à part entière, intégrée dans l’offre La Redoute. Nous avons eu le plaisir d’échanger avec Nica Stapel sur le début de cette aventure.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
J’ai commencé dans le conseil puis ai enchaîné dans la grande distribution chez Monoprix, Casino et le groupe Eram jusqu’à occuper des postes de direction avant de lancer Castaluna.
En 2009, pourquoi lancer une enseigne digitale pour femmes rondes ?
Cela faisait longtemps que j’avais envie de créer ma société et je cherchais une idée. Or j’avais un problème pour m’habiller. A l’époque le leader était La Redoute avec “Ma grande taille”, positionnée sur de l’entrée de gamme et pas très moderne. J’ai cherché des données de marché et j’ai trouvé des chiffres stupéfiants : quasiment la moitié des femmes faisaient du 42 – 44 et plus. L’offre étant ridicule, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire. Le digital est venu comme une évidence pour des questions de coûts.
Comment avez-vous rendu ce projet réel ?
On a fait appel à plusieurs sources de financement : de la levée de fond en “Love money ”, et un emprunt bancaire garanti par la BPI.
Avez-vous rencontré des freins ?
Le plus difficile est de convaincre des investisseurs. La deuxième difficulté est le délai de développement du site internet. J’avais fixé des délais complètement délirants : j’ai eu l’idée fin février et le site est sorti en octobre. Résultat : il y avait quelques trous dans la raquette sur le site.
Quel a été l’accueil du marché ?
Discret. On s’est lancé fin octobre avec une collection automne/ hiver, on avait 4 mois de retard par rapport au marché ! Après c’est allé assez vite heureusement.
Pensiez-vous devenir une référence sur ce marché ?
Dans le monde de la mode grande taille, oui on l’espérait. Nous n’étions pas très nombreux sur le marché. On voulait être parmi les premiers réflexes d’une nana qui a envie de bien s’habiller même si elle fait plus que du 42. Nous y sommes parvenus en partie avec notre site et aussi grâce à des partenaires influenceuses dans le milieu de la grande taille, comme Stéphanie Swicky et son blog “Big Beauty” sur lequel on avait une bannière et des articles.
Et puis on a fait le buzz involontairement. À la suite d’une publicité pour Castaluna, une nana a posté un truc sur le Nouvel Obs où elle traitait la mannequin de “grosse qui la dégoûte”. On a écrit un droit de réponse avec lequel on a été le premier hashtag sur Twitter pendant deux heures !
Aujourd’hui, pensez-vous que les marques considèrent cette cible de la taille 42 et au-dessus ?
Peut-être qu’on propose une taille supplémentaire mais je ne suis pas convaincue que les lignes aient vraiment bougé. En tant que consommatrice, je ne vois pas de changement monstrueux.
Connaissez-vous la “Loi mannequin” ? Votée en 2017, cette loi vise à lutter contre l’anorexie et à réglementer la maigreur dans le monde de la mode. Pour cesser de faire de la maigreur une référence esthétique, les mannequins doivent depuis 2017 présenter un certificat médical pour pouvoir exercer leur métier. De plus sur chaque photo retouchée, la mention “Photographie retouchée” doit apparaître. Si les magazines et agences de mannequins risquent jusqu’à six mois de prison et 75 000 euros d’amende en cas d’infraction à la règle, certains trouvent que le contrôle médical n’est pas assez strict. En effet, celui-ci n’est obligatoire que tous les deux ans pour les mannequins, lesquelles peuvent facilement contourner la règle une fois le contrôle passé.
Même si en pratique ces mesures apparaissent un peu laxistes, la législation française a souhaité par cette loi “agir sur l’image du corps dans la société afin d’éviter la promotion d’idéaux de
beauté inaccessibles et prévenir l’anorexie chez les jeunes” et reconnaît ainsi le poids et l’influence qu’exerce la mode sur nos modes de pensées. Il était temps !
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Crédits : Deden Dicky Ramdhani
LA MODE S’EMPARE DES SIGNES
RELIGIEUX OSTENTATOIRES
Dans un monde où les signes religieux, et notamment le voile, deviennent sources de polémiques et de débats sans fin, la mode s’engage sur le sujet.
Ensuite, Nike commercialise pour la première fois un hijab de sport. La marque intègre un peu plus cette diversité en février 2020
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retour sur les
campagnes chocs
de Benetton
Au début des années 2000, Benetton continue de surfer sur sa ligne de communication pour le moins provocatrice. Toujours en collaboration avec le photographe Oliviero Toscani, Benetton lance une campagne choc. Le photographe part arpenter les prisons américaines pour photographier des portraits de condamnés à mort.
La marque continue de bousculer les codes de l’esthétisme dans le marketing l’année d’après, en 2001, lors de sa campagne “Volunteers in Color” réalisée en coopération avec les Nations Unies. Benetton célèbre l’Année Internationale des Volontaires à travers des clichés bruts où la réalité du terrain est saisissante : souffrance, maladie, et pauvreté sont photographiées. Le quotidien des volontaires est loin d’être embelli par les strass du monde de la mode, et la campagne fait scandale. Dix ans plus tard, en 2011, la marque lance sa fameuse campagne “Unhate” et met à l’affiche des couples insolites comme Angela Merkel et Nicolas Sarkozy s’embrassant ou encore le pape Benoît XVI et un imam… le tout avec une pointe d’ironie.
Si la marque propose des vêtements au style plutôt sobre et épuré, sa stratégie de communication est toute autre. Provocantes, les campagnes de Benetton ont toutes réussi leur pari : déranger et susciter une réaction, que ça plaise ou non.
dans la lutte contre
les discriminations ethniques
Si dans les années 1990, les mannequins de couleur étaient essentiellement sollicitées lors des défilés, les marques les représentent désormais dans l’ensemble de leur campagne. Deux maisons se distinguent en intégrant très vite cette diversité dans leur communication : Balmain et Paul & Joe.
Le racisme systémique n’a plus lieu d’être : de nouveaux marchés apparaissent comme celui de l’Asie ou de l’Afrique, et avec eux, de potentiels nouveaux consommateurs. La diversité ethnique devient alors aussi un enjeu financier.
Nous avons parlé des mannequins, c’est important, mais on ne peut aborder ce sujet de diversité des origines sans mentionner celle des grands créateurs : visionnaires
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Virgil Abloh est également un formidable symbole de réussite dans le monde de la mode. D’origine guyanaise et né dans l’Illinois, le créateur poursuit un parcours brillant : d’abord bras droit de Kanye West pendant un temps, puis fondateur de la célèbre marque Off White en 2013, il est aujourd’hui et depuis 2018 directeur artistique de la prestigieuse Maison de luxe Louis Vuitton pour les hommes. Architecte, influenceur, DJ, homme d’affaires, artiste… Virgil Abloh enchaîne les projets et collaborations à succès, apportant un souffle frais au cercle très fermé des grands couturiers de la mode. Inspiré par la culture des années 1990, Virgil Abloh propose un style inédit et bien à lui, alliant luxe et streetstyle.
Depuis une dizaine d’années, les Fashions Weeks apparaissent sur le continent africain et deviennent de plus en plus attractives à l’échelle internationale. L’Afrique du Sud et le Nigeria sont les deux pays qui profitent le plus de l’essor de l’industrie de la mode sur le continent. L’industrie de l’habillement y est structurée, grâce à ses grands magasins, à ses écoles de mode et du design, et surtout grâce à son outil industriel, dont le rayonnement est à la fois interne et externe au continent.
Plusieurs Fashion Weeks africaines deviennent extrêmement populaires. L’une des plus connues est sans aucun doute la Lagos Fashion & Design Week. Fondé en 2011 au Nigéria par Omeymi Akerele, l’événement met en lumière différents sujets comme la créativité, le business, l’exportation, l’industrie locale. En 2016, plus de 3000 personnes assistaient à cette Fashion Week. La South Africa Fashion Week est également très prisée. Créé à la fin des années 1990, l’événement devient un véritable phénomène de mode avec ses 289 stylistes en 2018. Les entreprises du monde entier sponsorisent vite les défilés : la magazine GQ, le constructeur automobile anglais Mini, la marque japonaise d’équipement photo Canon ou encore la chaîne américaine de divertissement E! Entertainment.
La reconnaissance et l’intérêt sont bien internationaux ! Les Fashion Weeks africaines attirent de plus en plus d’acheteurs et d’entreprises, mais également des célébrités du monde entier. Le top-modèle anglais Naomi Campbell, ou encore le rédacteur en chef de Vogue UK, Edward Enninful : tous sont les invités de l’Arise Fashion Week de Lagos au Nigéria, qui est un véritable show de la mode africaine. La mode se propage fortement en Afrique et connaît un réel succès, et tous les signes montrent que c’est parti pour durer.
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L’ÉVOLUTION DU MÉTIER DE MANNEQUIN : DEUX DÉCENNIES DE CHANGEMENTS
Et le milieu du mannequinat est loin d’avoir été préservé de ce tsunami. De nombreux mannequins ont courageusement dénoncé les abus sexuels dont ils ont été victimes dans leur métier. Le scandale Weinstein a permis de libérer leur parole et de nombreux cas d’agressions sexuelles ont été révélés. La Brigade de Protection des Mineurs (BPM) a ainsi reçu les témoignages de plus d’une centaine de mannequins, et les photographes sont malheureusement très souvent pointés du doigt. Mario Testino, référence du monde de la mode a ainsi été accusé de harcèlement sexuel par treize mannequins. L’affaire, révélée par le New York Times dans un article publié en janvier 2020, a fait grand bruit.
Aussi, certains mannequins comme Cameron Russel, n’hésitent pas à s’engager activement pour dénoncer et nommer
Derrière les strass et les paillettes du monde de la mode, une réalité bien triste apparaît. Dès 2018, les révélations tombent, et les travailleurs de l’industrie de la mode n’hésitent pas à se mobiliser en nombre pour s’engager dans le mouvement #MeToo. Par ailleurs, il est important de noter que les femmes ne sont pas les seules victimes de ce fléau : les mannequins masculins se sont également manifestés pour dénoncer le harcèlement qui règne dans le milieu, à l’image des accusations portées envers Alexander Wang fin 2020. À New York, cette même année, un défilé très particulier a ainsi été organisé pendant la Fashion Week avec des mannequins victimes d’agressions sexuelles.
Au début de ce troisième millénaire, les travailleurs et mannequins de notre filière osent enfin affirmer leur voix et dénoncer les dérives du monde de la mode.
Philippe Cometti est photographe de mode depuis 1996 pour les plus grandes marques et grands magazines de notre filière. Il nous livre dans cet interview son regard sur l’évolution de son métier.
Quels sont les grands changements concernant le métier de photographe de mode ces 20 dernières années ?
Avec l’explosion des supports digitaux, il peut paraître moins opportun pour certaines marques d’annoncer dans un magazine. Toutes les marques ont maintenant des comptes Instagram sur lesquels elles publient de manière massive et quotidienne. Cette difficulté s’ajoute à la baisse de lectorat pour les magazines de mode. Pour les photographes de mode c’est une évolution relativement importante, un nombre réduit de campagnes “print”. Ce sont aussi des conditions de travail différentes : par exemple un temps de travail divisé par deux et donc un temps moindre consacré à l’exploration, à la créativité et à une relation avec le mannequin à portraiturer où l’urgence met à mal une confiance qui s’inscrit dans la durée.
Les modèles de beauté ont-ils évolué ?
Il y a quelques phénomènes remarquables mais pas de réel changement selon moi . Il y a tout d’abord une longévité nouvelle des mannequins, je pense ici à Kate Moss, la retouche la rend possible.
Nous avons ensuite une utilisation surexploitée des célébrités qui remplacent les mannequins. Enfin nous avons les mannequins correspondant à un discours sociétal comme la beauté de la diversité, les mannequins plus en chair, la présence plus importante de mannequins de couleur et de mannequins transgenres, etc. C’est flagrant sur les magazines américains et bien évidemment l’iconique Vogue. Épiphénomène ou opportunisme, c’est à voir.
Quel regard portes-tu sur les polémiques autour du harcèlement et abus des mannequins dans la mode ?
J’ai davantage une opinion de citoyen sur le sujet.
C’est un métier où il y a définitivement un manque de générosité et d’échanges. Les mannequins peuvent être très jeunes et des comportements sur ces jeunes personnes sont inexcusables.
Il y a des prédateurs c’est évident, une spirale de comportements avec un pouvoir exercé sur les personnes inacceptable. La mode est une fabrique à stars : les mannequins, les photographes, les rédacteurs, les stylistes, les Directeurs Artistiques, un microcosme de pouvoir, comme dans le cinéma. Bien évidemment cela entraine des abus.
Nous sommes sur des sujets très compliqués et la psychologie de chaque acteur peut être difficile à comprendre.
La justice est seule apte à juger.
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En effet, le phénomène Instagram permet à Monsieur ou Madame “tout le monde” de devenir célèbre. Le profil de chacun devient une vitrine de casting à travers laquelle on peut s’exprimer librement, se mettre en valeur et même être repéré.
La bombe est lancée : Anok est très vite contactée par l’agence de mannequinat NEXT et devient un véritable top en vogue. Le 22 février 2018, elle est la seconde mannequin noire de l’histoire à ouvrir le défilé Prada, depuis … Naomie Campbell 20 ans auparavant.
DES ATTENTES
PHYSIQUES DES
MANNEQUINS
Les créateurs s’ouvrent à davantage de singularité pour représenter leurs créations. Alors argument marketing ou simple ouverture d’esprit ? En tout cas, la beauté atypique et les mannequins aux gueules fortes, ça marche !
The Kooples est un bel exemple de cet élan. La marque surfe justement sur l’originalité pour représenter ses campagnes. Lancée en 2008, elle se fait rapidement connaître en mettant en scène des couples portant leurscollections:desgueules,desbeaux, des jeunes, des séniors, et toujours, des couples hyper branchés au style chic et urbain.
Le monde de la mode a de nouveau su prouver sa capacité d’évolution et d’adaptation durant ces deux décennies. Si la mode n’impulse pas une avancée sur un sujet sociétal, elle sait se l’approprier pour le diffuser encore plus largement.