LE PILIER ÉCOLOGIQUE
UNE INDUSTRIE DOMMAGEABLE POUR LA PLANÈTE
Les multinationales de la fast fashion seraient les principales responsables de ce triste bilan. Mais qu’en est-il réellement ? Comment en est-on arrivé là ? Que fait notre industrie pour y pallier ? Une prise de conscience émerge et le monde s’organise pour préparer les décennies suivantes. Concernées par ces problématiques de développement durable et de responsabilité sociétale, des entreprises expérimentent et permettent d’entretenir l’espoir d’un futur plus vertueux pour notre industrie.
À la fin du XXe siècle, la machine de la mondialisation et de la délocalisation s’est emballée. C’est à cette période qu’apparaît la fast fashion, entraînant notre industrie dans un système de surproduction et de surconsommation qui s’autoalimente et devient incontrôlable. Retour sur une double décennie pendant laquelle la mode s’est hissée sur le podium des industries les plus dommageables pour l’environnement.
LES RAISONS D’UNE CHAÎNE
D’APPROVISIONNEMENT COMPLEXE
de notre chaîne de valeur.
Aujourd’hui, face à cette pression économique, les géants du textile et surtout de la fast fashion ont pratiquement tous délocalisé leur production. On peut principalement citer les pays asiatiques comme le Bangladesh, qui est aujourd’hui le pays avec l’un des salaires le plus bas du monde. Les travailleurs sont payés 0.32$ de l’heure. Le Pakistan arrive ensuite avec un salaire de 0.55$ de l’heure. La spécialisation,
corollaire de la délocalisation, se met en place. À travers le monde, le commerce mondial du textile et de l’habillement s’organise, basé sur la spécialisation des pays. Taiwan et Hong Kong se spécialisent dans les accessoires, le Bangladesh dans la maille, l’Inde dans les imprimés… Même la Chine, leader dans la production de textile et d’habillement à l’échelle internationale, avec une main d’œuvre presque illimitée, fait aujourd’hui appel à ses pays voisins comme le Bangladesh ou le Vietnam pour délocaliser une partie de sa production de confection et profiter d’une main d’œuvre peu coûteuse.
Les acteurs de la chaîne de production textile se structurent pour répondre à la demande croissante des grandes marques de mode. De l’extraction et fabrication des matières premières à la fin de vie du produit, la chaîne de valeur s’est transformée en une véritable machine de production mondiale où chaque étape est pensée pour optimiser
le rapport coût/bénéfice. Elle est aujourd’hui hors de contrôle.
Désormais, les chaînes de production et d’approvisionnement sont complètement dispersées au niveau mondial, et un T-shirt fait plusieurs fois le tour de la planète avant d’être acheté par le.a client.e final.e. Il peut être issu de cotonculteurs américains, être filé et tissé par des jeunes filles indiennes pour être teint en Chine puis confectionné au Bangladesh avant d’être finalement distribué en Europe. On considère qu’un jean parcourt en moyenne 65 000 km du champ de coton au magasin de vente, soit 1,5 fois le tour de la planète. Cette logistique est extrêmement énergivore : trains, bateaux, avions, camions. Tous les moyens de transport sont mis à contribution quel que soit leur impact environnemental pour fluidifier les flux de marchandises.
LE PILIER ÉCOLOGIQUE
DES PRODUITS GRANDS
CONSOMMATEURS DE RESSOURCES
en passsant par l’eau et l’énergie, l’industrie textile utilise de très nombreuses ressources, et en grande quantité.
La production des matières premières et des produits finis nécessite l’exploitation massive de ressources renouvelables et non renouvelables. Ainsi, 4% de l’eau potable disponible dans le monde est utilisée pour produire nos vêtements. Pour donner un autre ordre d’idée, environ 110kg de matières premières sont nécessaires pour la production d’un manteau, près de 50kg pour celle d’un jean et la production d’une chemise en coton de 300gr nécessite d’extraire 79 fois son poids en matières premières selon un rapport de l’ADEME.
L’industrie textile a besoin de matières naturelles (animales et végétales), artificielles et synthétiques qui, à des niveaux différents, ont toutes un impact environnemental tout au long de leur processus de production : 70% des fibres synthétiques sont issues du pétrole, les 30% restant provenant notamment d’autres énergies fossiles ou d’amidon. La production de la principale fibre synthétique à base de pétrole, le polyester, est de 57,7 millions de tonnes en 2019, et est responsable de 31% de la pollution plastique des océans, comme nous le rappelle l’étude réalisée par l’ADEME.
Le coton conventionnel (par opposition au coton biologique) représente 1⁄4 de la production mondiale de fibres.
En 2019, ce sont plus de 25,7 millions de tonnes (source : Textile Exchange) qui ont été produites pour l’industrie textile. Le coton est le troisième consommateur d’eau d’irrigation dans le monde. Il faut en effet prélever l’eau des rivières et des lacs pour irriguer les champs de coton, notamment dans les plus gros pays producteurs comme la Chine et l’Inde, déjà en stress hydrique. Mais ce n’est pas tout, première consommatrice de pesticides au monde, la culture du coton demande également énormément d’engrais, qui finissent tous par s’écouler à travers les sols et donc à polluer les nappes phréatiques et les cours d’eau : pour fabriquer un jean, il faut 1kg de coton, entre 5 000 et 10 000 litres d’eau, 75gr de pesticides et 2kg d’engrais chimiques.
Lors des différentes étapes de production du produit fini, l’industrie utilise là aussi de façon intensive des ressources telles que des substances chimiques et de l’eau (93 milliards de M3 d’eau par an) pour la teinture, les traitements et ennoblissements divers, assemblage et finition des vêtements qui seront enfin transportés à travers la planète pour parvenir à son consommateur.rice final.e.
Cette surconsommation soutenue par le Black Friday et autres promotions a des répercussions désastreuses sur l’environnement. Les achats à outrance contribuent à l’augmentation de la pollution, à l’appauvrissement des ressources naturelles et à une empreinte carbone très forte.
LE PILIER ÉCONOMIQUE
UN NOUVEAU COMPORTEMENT D’ACHAT MENANT À LA SURCONSOMMATION
Comme nous l’avons vu dans la partie sociétale et économique de ce magazine, un changement global au niveau du comportement d’achat s’est opéré. Ce changement fut en grande partie engendré par la fast fashion. Comment ce changement s’est-il opéré ? Quelles sont les conséquences pour notre planète ?
Premièrement, la fast fashion a réussi à instaurer un besoin artificiel en créant l’impression de rareté à travers des collections en quantités limitées, sans cesse renouvelées en magasin. La peur de rater la pièce iconique du moment est un élément de motivation décisif dans l’acte d’achat. Cela peut aussi passer par des collaborations, comme H&M et Karl Lagerfeld dès 2004, quand le couturier dessine une trentaine de pièces pour hommes et femmes, créant ainsi une idée du luxe abordable, une édition limitée que les clients du monde entier sont venus s’arracher en un temps record. Depuis, H&M perpétue le concept avec d’autres créateurs en faisant monter le suspense
L’autre technique employée par la fast fashion pour modifier en profondeur les comportements d’achat et ancrer leur système de surconsommation dans les mœurs consiste à jouer sur les prix de vente en créant des promotions permanentes, augmentant ainsi le phénomène d’achat compulsif dont le dernier rempart était le prix… Avant, les soldes avaient pour objectif de liquider les invendus de la saison précédente, afin de faire de la place dans les stocks pour la nouvelle saison. Aujourd’hui, les bas prix deviennent une norme, c’est à qui affichera le prix le plus bas : la bonne affaire est la nouvelle tendance.
Ce système de décote est appliqué jusqu’en bout de chaîne avec les magasins d’usines et autres centres “d’outlet”, conçus comme
La conséquence : la valeur perçue d’un vêtement en début de saison, sans décote, a chuté. Une étude menée par First Insight montre que les consommateurs sont aujourd’hui prêts à payer 76% seulement du prix initial d’un vêtement.
On achète donc aujourd’hui de façon impulsive des vêtements pour assouvir un besoin instantané et non plus par nécessité. L’époque où on se procurait un vêtement pour se protéger du froid ou de la pluie est révolue. Les garde-robes se remplissent de produits dont on n’a pas un réel besoin, et que l’on ne porte pas ou peu. C’est ainsi que les habits que nous achetons se succèdent à une vitesse effrénée sur nos épaules avant de finir “placardisés” au sens propre et figuré. Nous achetons 60% de vêtements de plus qu’il y a 15 ans et les conservons 2 fois moins longtemps.
LE PILIER ÉCONOMIQUE
LA FIN DE VIE DES VÊTEMENTS
Le gaspillage vestimentaire ne concerne pas seulement les consommateurs. Les marques de la fast fashion sont elles aussi responsables. En effet, elles produisent en masse pour vendre à bas prix, alors que leurs vêtements et accessoires ont une durée de
Ce type de méthode n’est pas une exclusivité de la fast fashion.
les GES
Avec 1,2 milliard de tonnes émises chaque année par le secteur, soit 2% des émissions mondiales de gaz à effet de serre ou encore l’équivalent de celles générées par le trafic aérien et maritime mondial réuni.
l’eutrophisation
Les différentes étapes de fabrication depuis le fil jusqu’au produit fini seraient responsables de 20% des eaux polluées dans le monde. Et cela malgré la norme REACH européenne qui réglemente et régule l’utilisation des substances chimiques sur son marché.
pollution des eaux
LE PILIER ÉCONOMIQUE
LA SURPRODUCTION POUR RÉPONDRE À LA SURCONSOMMATION
Comme souligné dans la partie économique, le processus de création des collections a été profondément modifié depuis l’arrivée de la fast fashion. La saisonnalité qui rythmait les collections en a été grandement perturbée. La mode d’aujourd’hui est régie par la nouveauté permanente : on rompt le calendrier traditionnel des collections saisonnières pour laisser place à des drops, des capsules, des one shot, portés par un marketing et un merchandising tout-puissants visant à assurer une rotation élevée et toujours plus rapide des nouveaux produits en magasin. Pour y parvenir, on multiplie les équipes de stylistes que l’on fait travailler en trinôme avec le modéliste et le marketing afin de gagner en réactivité et agilité. On entre donc dans une spirale inflationniste de nombre de modèles qui
Cette surproduction, cette multiplication du nombre de références entraîne inévitablement un surplus de stocks de matières premières, de produits semi-finis et finis, surplus que les usines, grossistes et grandes enseignes n’hésitent pas à jeter ou à brûler….
Ainsi, aux États-Unis, l’entreprise new- yorkaise Queen of Raw estime que 120 milliards de dollars de tissus américains inutilisés attendent dans les entrepôts… d’être brûlés ou enterrés. La durabilité de l’industrie de la mode est plus que remise en question.
conséquences
pour notre planète
Car ce sont bien ces deux excès qui sont à l’origine du désastre environnemental de l’industrie textile. On relève cinq impacts principaux :
• la consommation en eau
• lesémissionsdegazàeffetdeserre
• ladéforestationetladestructionde
la biodiversité
• la pollution des sols
• l’eutrophisation, c’est-à-dire
l’appauvrissement extrême en oxygène de l’eau causé par les polluants qui y sont déversés.
En 2019, les fibres synthétiques représentent 63% de la production de fibres au niveau mondial alors qu’elles n’en représentaient que 50% en 2000, ce qui en soi était déjà énorme.
Pour compléter ce tableau peu glorieux, chaque lavage d’un vêtement synthétique rejette 700 000 microfibres plastiques dans les eaux usées qui se déversent ensuite dans les cours d’eau. 500 000 tonnes de microparticules sont ainsi relâchées dans les océans chaque année dans le monde, soit l’équivalent de plus de 50 milliards de bouteilles en plastique. De récentes études comme celles réalisées par la Fondation Ellen MacArthur, l’ADEME et McKinsey, ont montré que jusqu’à 90% des microplastiques trouvés sur les rivages étaient constitués de fibres textiles synthétiques. Afin de maintenir les prix au plus bas, la fast fashion s’est tournée vers les matières synthétiques, au grand dam de notre planète qui en paye le prix fort.
FASHION PACT & GREEN DEAL EUROPÉEN :
LES DERNIERS ENGAGEMENTS EN DATE
Le Fashion Pact a été présenté lors du sommet du G7 à Biarritz, en août 2019. Le Fashion Pact est une coalition mondiale d’entreprises de la mode engagées autour de grands objectifs environnementaux centrés sur trois thématiques : le contrôle du réchauffement climatique, la restauration de la biodiversité et la protection des océans. Cet accord a été ratifié par un grand nombre d’acteurs majeurs de l’industrie textile comme Adidas, Chanel, Celio, Décathlon, Nike, Monoprix ou encore le groupe Les Galeries Lafayette.
Un an après sa création, leur nombre a déjà doublé, avec plus de 60 entreprises issues de 14 pays, représentant plus de marques et un
tiers du secteur de la mode. Le nombre et la grande diversité des entreprises signataires sont des indicateurs d’engagements forts, même si insuffisants pour certains, et montrent que l’industrie du textile et de l’habillement prend conscience des problèmes environnementaux qu’elle génère et surtout qu’elle se saisit du problème. Des premières avancées sont à noter : mise en place d’une structure opérationnelle, développement d’un tableau de bord d’indicateurs de performance pour mesurer l’impact sur la biodiversité avec des experts techniques du secteur.
Les Sommets sur le climat se sont ensuite enchaînés, à commencer par le Global Compact, lancé en juillet 2000 par l’ancien Secrétaire Général de l’ONU, Kofi Annan, et destiné à rassembler les entreprises, les organismes des Nations Unies, le monde du travail et la société civile autour de dix principes universels regroupés en quatre grands domaines dont l’environnement.
Le 4e rapport du GIEC, sorti en 2007, établit la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. Ce 4e rapport d’une série commencée en 1990 fait le bilan de six années de travaux menés par 2500 scientifiques. Ce fut un coup de tonnerre, permettant au grand public de prendre conscience de la responsabilité de l’Homme dans la destruction de son environnement.
En réaction, les chefs d’états européens adoptent en 2008 le Plan Climat de lutte contre le réchauffement climatique avec un objetif
Le Sommet pour la Terre de 2012 à Rio, est connu pour avoir lancé le processus d’adoption des Objectifs mondiaux en faveur du Développement Durable (ODD). Ces objectifs ont été approuvés et adoptés par pas moins de 193 pays. En 2015, à l’issue de la COP21, les signataires de l‘Accord de Paris s’engagent fortement en faveur du climat : budgets de plusieurs milliards débloqués pour lutter contre les effets du réchauffement climatique, investissements dans des énergies propres, aide financière fournie aux pays en développement, bilan obligatoire tous les 5 ans sur les avancées… Un engagement concret nourrissant l’espoir d’un effort collectif mondial.